Le pouvoir des cristaux

Dans les pierreries la majesté de la nature se présente pour ainsi dire en abrégé, et, dans l’opinion de bien des gens, elle n’est nulle part plus admirable, et on attache de prix à la variété, aux nuances, à la matière, à la beauté; et, pour certaines pierres, on va jusqu’à regarder comme un sacrilège d’y porter le burin. Il y a tel de ses joyaux qui passe pour inestimable et sans tarif dans les richesses humaines; de sorte qu’aux yeux du grand nombre il suffit de je ne sais quelle pierre pour avoir la contemplation suprême et absolue de la nature.

De toutes les merveilles décrites par Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle, les chapitres sur les pierres précieuses sont parmi les plus exhaustifs et les plus poétiques. S’y mêlent les anecdotes historico-mythologiques, quelques notions sur la géographie des gisements, et des observations techniques où le pertinent côtoie souvent le farfelu: ainsi on apprend dans le même paragraphe que l’ambre serait de l’urine de lynx cristallisée, et qu’elle permet d’observer l’électricité statique (par définition, en quelque sorte).

Ou encore, une curieuse propriété mentionnée à propos de la « lychnis », nom qui aujourd’hui ne fait plus référence qu’à une fleur, mais qui ici désigne vraisemblablement une très belle pierre, la tourmaline: Pline nous dit que, comme l’ambre, elle attire les pailles et les filaments de papier… mais seulement lorsqu’elle est chauffée par le soleil ! Alors, farfelu ou pas ?

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Morale du joujou

Voilà une image qui, presque autant que la photo de classe de 1927, fait partie des icônes de la physique du XXe siècle. Avec deux messieurs habillés très sérieusement, dont on devine que les genoux ne sont plus très souples mais dont ne voit pas bien les visages. À droite, tignasse blanche, c’est le Danois Niels Bohr. À gauche, cheveux noirs clairsemés, c’est l’Autrichien Wolfgang Pauli. Ensemble ils symbolisent les deux générations successives qui ont chamboulé toute la physique au début du siècle. L’un a eu le prix Nobel en  1922, l’autre en 1945. Et là nous sommes en Suède, en 1954: les deux jeunes prodiges de la mécanique quantique sont devenus des monstres sacrés, ils sont venus inaugurer un nouvel Institut de Physique… et ils jouent avec une toupie.

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Le portrait effacé

Il est le premier à avoir imaginé la loi de la gravitation universelle. Il a révolutionné la mécanique, l’optique et tous les domaines de ce qui deviendra la physique moderne, voire peut-être même la biologie. Il a été le pionnier de la démarche expérimentale, et le pivot de la communauté scientifique anglaise de la fin du XVIIe siècle. Et ce n’est pas Newton.

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Un royaume à part

C’est une histoire de microbiologie qui commence avec des trappeurs et des chercheurs d’or. On planterait un décor de western dans le nord des Montagnes Rocheuses. Quelques bicoques en bois dans des bourgades qui s’appellent comme dans Lucky Luke: Diamond City. Gold Creek. Emigrant Gulch. Des vallées humides, froides et isolées, bien loin des convois de pionniers en route vers la côte ouest.Malgré des affrontements fréquents avec les Indiens, quelques aventuriers ont donc commencé à coloniser ce qui va devenir le Montana, c’est-à-dire le haut cours du Missouri. Parmi les affluents de celui-ci, il y a une grosse rivière que les Indiens Minnetaris appellent Mi tse a-da-zi. Ce que les Français, qui ont longtemps hanté les parages, avaient traduit par « Roche Jaune » [1]. Et les nouveaux arrivants… Yellowstone River.

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Les belles carrosseries

Alors que j’essayais tant bien que mal de dessiner les petites vignettes de la bannière du blog, j’ai fait un geste que beaucoup de gens bien plus compétents font tous les jours sur plein de logiciels différents: j’ai cliqué une fois, deux fois, trois fois… et hop, une ligne courbe est apparue !
Rien de plus facile évidemment, puisqu’il suffit de choisir l’icône « courbes de Bézier ». Et du coup je me suis demandé « tiens mais c’est qui, ce Bézier »: un géomètre des Lumières qui échangeait des lettres avec Euler ? Un confrère de Gauss, penché lui aussi sur les espaces courbes ? À moins que ce soit la ville dont les anglophones auraient par mégarde escamoté le « s » ?

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L’air et la lumière

À la fin de l’été 1789, une voiture attelée quitte discrètement Paris. Sur ses flancs, les armes de la maison d’Autriche… c’est-à-dire de Joseph II, le frère de Marie-Antoinette. Son occupant est donc soulagé de franchir les barrières de la capitale en plein tumulte, et relativement pressé de regagner l’Angleterre. Pourtant il n’est pas anglais. Il n’est pas autrichien non plus, d’ailleurs… mais néerlandais. Il juge prudent de fuir la Révolution qui éclate, mais a dû quitter à regret son collègue Lavoisier qui vient, lui, de faire voler en éclat l’Ancien Régime de la chimie. Or notre mystérieux passager a fait une découverte tout aussi révolutionnaire pour la biologie… et personne ne connaît son nom.

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La marée n’attend pas

Nous sommes en 55 av. J.-C. Toute la Gaule est occupée par les Romains. Toute ? Ah ben non, la campagne de Jules César ne fait que commencer. Présentement, il est occupé à soumettre les Belges, qui comme chacun sait, de tous les peuples de la Gaule sont le plus brave[1].  Et en plus, ils reçoivent des renforts venus de la grande île de l’autre côté du détroit… voilà pourquoi César se décide à faire un tour en Bretagne (la grande). Il fait le fier, sur la photo, mais en fait les choses se gâtent rapidement:

Il se trouva que cette nuit-là même la lune était en son plein, époque ordinaire des plus hautes marées de l’Océan. Nos soldats l’ignoraient. L’eau eut donc bientôt rempli les galères dont César s’était servi pour le transport de l’armée et qu’il avait mises à sec. Les vaisseaux de charge, restés à l’ancre dans la rade, étaient battus par les flots, sans qu’il y eût aucun moyen de les gouverner ni de les secourir.

La Guerre des Gaules, livre IV.29

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La meilleure série du monde

Souvenez-vous: nous fêtons cette année les 250 ans de la naissance de Joseph Fourier, préfet de l’Isère, que nous avons laissé en 1822, alors qu’il était enfin parvenu, après des années d’efforts, à publier son monumental ouvrage sur la propagation de la chaleur.

Késako « la propagation de la chaleur » ? Rien de très sorcier, au premier abord. Par exemple, prenons une barre métallique, froide, et plongeons chaque extrémité dans de l’eau bouillante. Combien de temps faut-il avant que le milieu soit chaud aussi ? Il a donc fallu attendre le début du XIXe siècle pour enfin trouver l’équation qui décrit ce phénomène très simple. Sauf que pondre une équation, c’est bien… mais après, encore faut-il la résoudre !

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Le rouge et le blanc

Il y a déjà quelque temps, on avait parlé d’un chimiste hollandais qui s’était amusé à laisser pourrir un bol d’urine pendant quelques mois (oui parce que la science, parfois, prend des chemins saugrenus). Eh bien en fait il n’était même pas le premier à jouer à ça. À la suite de l’alchimiste allemand Hennig Brandt en 1669, ils sont plusieurs à tenter une drôle d’expérience alchimique avec de l’urine putréfiée. Spoiler: pas la peine d’essayer… non, ça n’aide pas à changer le plomb en or.

Par contre, on finit par obtenir une nouvelle substance blanche ou jaunâtre, qui brille un peu dans le noir, et s’enflamme de manière très vive. À l’époque les seuls « éléments chimiques » connus le sont depuis longtemps: ce sont les métaux courants, le soufre, l’arsenic et le carbone. Cette drôle de matière blanche est toute nouvelle; on va l’appeler phosphore : un très beau mot grec pour dire « porteur de lumière ».

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Des petits cailloux

Dans les années 1830, des milliers de paysans Boers décident de quitter la colonie du Cap, désormais gouvernée par les Britanniques, pour s’aventurer vers l’intérieur de ce qui deviendra l’Afrique du Sud. Parmi eux, un certain Daniel Jacobs et ses quelques chèvres, que ce Grand Trek amène au lieu-dit Hopetown. Son fils Erasmus passe ses journées sur les rives de la rivière Orange toute proche, et y ramasse de jolis cailloux: galets, grenats, calcédoines, agates… Un jour de printemps, en 1867, un voisin en remarque un, plus transparent que les autres, abandonné dans la poussière de la cour de ferme.

De main en main, le petit gravier se retrouve chez les experts du Cap, qui rendent leur verdict: c’est un diamant ! Un peu jaune, mais pas si petit que ça: 4 grammes, soit 21 carats. Ni une ni deux, il est taillé, et se retrouve derechef exhibé, sous le nom d’Eurêka, à l’Exposition universelle de Paris. Bien évidemment, ça n’est pas la première fois qu’on trouve un diamant… mais en Afrique australe, oui[1]. Et celui-ci va avoir plus de répercussions que tous les autres.

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